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Cédric Laroyenne
20/01/2025

Temps de lecture estimé à 6min

Entretien avec Cédric Laroyenne, Directeur Talent & Engagement d’EPSA et Délégué Général EPSA Foundation

« Dans un monde qui se transforme, avec l’appauvrissement des financements publics, les crispations en tout genre, avec le retrait des pouvoirs publics, le rôle du mécénat reste très important. […] Les entreprises doivent continuer à faire en sorte que les acteurs de terrain qui font du lien social au sens large puissent continuer à le faire. »

Quels changements as-tu observés depuis que tu pratiques le mécénat ?

J’ai le sentiment que nous avons passé un certain âge d’or du mécénat. Jusqu’en 2020, il y avait plus de fondations d’entreprises que de départements RSE. Dans les grands groupes, on parlait de mécénat d’un côté et de sujets de responsabilité de l’autre. Les fondations étaient très présentes et tout le monde se battait pour qu’elles ne soient pas perçues comme « la danseuse du président ».

Puis les entreprises ont accéléré le développement de la RSE, les bilans carbone, l’égalité femme-homme, les accords handicap… et en même temps, on a vu l’émergence de B Corp, de la notion de raison d’être, des entreprises à mission. Tout cela cumulé a laissé moins de place au mécénat parce qu’il y a eu un changement dans la tête des dirigeants pour lesquels l’ensemble représente une seule ligne de budget dans laquelle tout doit s’inscrire. Or, d’après moi, la RSE est un “operating model”, c’est-à-dire qu’elle doit décrire la façon dont une organisation opère ses activités. Ce qui est différent de l’intérêt général.

On voit d’ailleurs aujourd’hui beaucoup d’offres d’emploi en RSE et peu en fondations d’entreprise. Je trouve aussi qu’aujourd’hui, les réseaux du mécénat fonctionnent moins bien et que l’on a du mal à ré-accélérer. Il y a peu de jeunes ou de nouvelles recrues qui me parlent de mécénat et d’intérêt général. Et il y a peu de patrons qui privilégient le mécénat. Souvent, on pense d’abord RSE et le mécénat passe après. 

Les grosses entreprises continuent à faire perdurer le mécénat car elles ont les reins solides, mais celles que je vois dans les réseaux de PME sont surtout focalisées sur la RSE et l’argument de la défiscalisation du mécénat ne tient plus. Pourtant, dans un monde qui se transforme, avec l’appauvrissement des financements publics, les crispations en tout genre, avec le retrait des pouvoirs publics, le rôle du mécénat reste très important. En d’autres termes, les entreprises doivent continuer à faire en sorte que les acteurs de terrain qui font du lien social au sens large puissent continuer à le faire. C’est plus important que jamais.

Qu’est-ce qui te paraît plus simple aujourd’hui et, à l’inverse, où sont d’après toi les défis à relever ?

Pour ce qui fonctionne mieux aujourd’hui, je parlerais de la professionnalisation de la relation entre associations et entreprises. On s’est beaucoup améliorés dans le suivi et l’animation des relations. On a les bons interlocuteurs de part et d’autre, et ce n’est pas rien.

Ce qui est plus compliqué, c’est la multiplicité des associations qui agissent sur les mêmes causes. On est sur-sollicités par des porteurs de projets qui font sensiblement la même chose sur les mêmes territoires. Cela génère un éclatement et une ventilation des budgets qui devient un vrai problème. Il y a un mécanisme presque de concurrence entre certaines associations dans des secteurs donnés. Notamment sur l’insertion professionnelle et l’égalité des chances. Il y a de la place pour tous, mais il faut une logique de synergie, voire de fusion, à l’image par exemple d’Article 1. La lisibilité et la coalition des associations sur une même cause est donc un vrai sujet. Dans le même temps, je crois qu’il faut aussi faire grandir les associations locales plutôt que d’essayer de créer ou pousser de nouvelles initiatives, pour éviter de nuire aux projets existants.  

Sur les défis, j’ajouterais un point de vigilance concernant l’utilisation des plateformes d’engagement. C’est très bien que ces outils existent mais il faut faire attention à ce que ça n’empiète pas sur le soutien direct aux associations.

Aujourd’hui, dans ta pratique, quelles sont tes principales préoccupations ? Les questions que tu te poses le plus souvent ?

Il y en a trois. D’abord, est-ce que tel projet sert vraiment : est-ce qu’il répond à une urgence, à un besoin non pourvu (c’est le principe de l’innovation sociale) ou bien est-ce un projet “cosmétique” ? Cette question de l’utilité se pose aussi lorsqu’une association développe un programme qui vient en doublon d’une autre initiative pilotée par un autre acteur au lieu de s’allier à ce dernier. Dans ce cas là, le projet ne sert pas puisqu’au contraire il va diluer les budgets consacrés à une même cause. Ensuite, la deuxième question que je me pose c’est : est-ce que je crée une réponse palliative ou une réponse systémique ? Et enfin, quels sont les autres mécènes à mes côtés si je soutiens tel projet ? Très franchement, aujourd’hui, je ne serais pas sûr de continuer avec des associations soutenues par certains mécènes, pour des raisons éthiques. Dans un monde où tout se politise, je ne suis pas à l’aise avec certains partenariats.

Au-delà de ces trois questions qui me servent de boussole, je dirais qu’il faut aussi se faire confiance un peu plus, sans trop se poser de questions sur la mesure d’impact. On parle d’humain, et puisque le mécénat n’est justement pas la même chose que la RSE avec des obligations de mesures chiffrées, profitons-en pour se faire confiance aussi.

En résumé, à ton échelle, vers quoi as-tu envie de faire tendre la pratique du mécénat ?

Une chose très simple : dans une période où l’on parle beaucoup de l’imposition des entreprises, je serais très à l’aise pour dire qu’une entreprise qui fait tant de bénéfices doit mettre tant d’argent dans le mécénat. Ce serait un peu comme le mécanisme de la taxe d’apprentissage, avec un pourcentage de la masse salariale. C’est peut-être utopiste, mais cela donnerait du sens aux taxes que l’on paie.
Chez Epsa, pour le renouvellement d’Epsa Foundation en 2026, on pense d’ailleurs à instaurer un ratio avec une logique de don fixé dans le marbre, sur le même principe que « 1 % pour la planète ».

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