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Dalila Habbas, déléguée générale du Fonds de dotation Biocoop
16/12/2024

Temps de lecture estimé à 9min

Entretien avec Dalila Habbas, déléguée générale du Fonds de dotation Biocoop


« Je crois plus que jamais qu’il faut être dans la société du lien et cela ne peut passer que par un mécénat collectif à dimension locale, en phase avec les besoins des territoires, en concertation avec l’ensemble de leurs parties prenantes. »

Quels changements as-tu observés depuis que tu pratiques le mécénat ?

Je relève que la philanthropie est davantage considérée au sein des entreprises aujourd’hui. Le mécénat a dépassé le simple cadre de la communication d’entreprise pour entrer dans le management stratégique. À mes débuts, j’ai travaillé dans une agence de conseil en mécénat et nos interlocuteurs étaient souvent les directions de la communication.

Désormais, je constate de plus en plus que le mécénat d’entreprise s’inscrit dans une stratégie globale et il est de plus en rattaché à la Présidence ou la direction générale. Chez Biocoop, le Fonds de dotation est né de la volonté du conseil d’administration de formaliser ses engagements sociétaux. Dès lors, chaque plan stratégique du Fonds de dotation Biocoop est une déclinaison philanthropique de la stratégie globale de l’entreprise. 

Je note aussi une autre évolution ces dernières années : la montée en puissance des thématiques d’action sociale mais aussi d’environnement et de climat, même lorsque ces dernières ne sont pas dans l’ADN de l’entreprise mécène.

Et puis on a vu le développement du mécénat de compétences avec des politiques d’engagement des collaborateurs à différents niveaux et de différentes manières, les plateformes d’engagement se sont développées, jusqu’à consacrer le mentorat Grande cause nationale 2023.

D’après toi, quels enjeux rencontrent aujourd’hui les structures de mécénat en termes de fonctionnement ?

Pour les grosses fondations qui soutiennent de très nombreux projets, il faut une équipe avec de nombreux effectifs. À l’inverse, pour des fondations d’entreprises type PME/ETI, il faut un appui externe avec des prestataires si on a le budget, être particulièrement efficients, mais aussi avoir des processus qui permettent de s’appuyer sur des personnes ressources en interne. C’est notre cas au Fonds de dotation Biocoop. L’une des questions à se poser est notamment : “comment mobiliser le conseil d’administration ?”. Au-delà des compétences opérationnelles de l’équipe, il y a un vrai sujet de montée en compétence de la gouvernance. 

Si je prends notre exemple, nos administrateurs disposent de 6 jours par an pour se consacrer au Fonds de dotation Biocoop. Ces derniers sont formés au mécénat et à l’intérêt général dans le cadre de séminaires d’intégration. D’autre part, tous les plans stratégiques ont été co-construits avec notre gouvernance. Concrètement, nous organisons des séminaires stratégiques qui comprennent à la fois des rencontres inspirantes avec des porteurs de projets et des séances de travail sur les priorités du Fonds, la construction de la feuille de route… Ce processus simplifie ensuite l’instruction des projets, à laquelle certains administrateurs participent. Nous sommes une coopérative et cette implication est dans notre ADN, notre culture d’entreprise, nous avons l’habitude de fonctionner ainsi. Je crois vraiment que c’est une bonne pratique à dupliquer dans d’autres entreprises.

Quels sont selon toi les écueils à éviter pour les mécènes et, à l’inverse, les bonnes pratiques à adopter ?

Je pense qu’il faut éviter le seul “saupoudrage” de nombreux petits dons à de nombreux projets qui est généralement très peu utile ou impactant pour la société. Au contraire, mieux vaut des modes d’action mixte. Cela signifie s’appuyer sur des appels à projets pour soutenir de petits projets locaux – car il y a une nécessité à laquelle il faut répondre – et combiner cela avec des partenariats pluriannuels et renouvelables, pour offrir de la visibilité aux porteurs de projets, qu’ils soient petits ou gros. 

Globalement, les mécènes doivent aussi avoir conscience de la réalité du quotidien des porteurs de projets, et notamment du besoin de soutien financier non fléché qui peut aller vers du soutien au fonctionnement. Cela peut par exemple se traduire par un pourcentage de la dotation dédié au fonctionnement. Pour ma part, avoir travaillé du côté des associations me permet de mieux saisir leurs problématiques. 

Enfin, concernant l’évaluation d’impact social, je pense qu’elle est utile pour mettre en place des indicateurs, fixer des caps, accompagner la montée en compétences et la professionnalisation, mais qu’elle ne doit pas servir d’outil de contrôle des associations soutenues. 

Concrètement, sur quoi souhaites-tu mettre l’accent en tant que mécène dans le soutien aux porteurs de projets ?

Sur la co-construction, basée sur une relation de collaboration et de confiance. Au Fonds de dotation Biocoop, nous sommes à la fois distributeurs et opérateurs. Pour nous, il s’agit de s’appuyer sur l’expertise d’un acteur de l’intérêt général et de co-construire, en associant les parties prenantes de l’entreprise, pour répondre ensemble à une problématique sociétale. 

Un exemple concret sur la thématique de la précarité alimentaire : nous nous sommes appuyés sur un réseau régional d’épiceries sociales et solidaires, le GESRA, et nous nous sommes mis autour de la table avec leurs bénéficiaires, leurs équipes et celles de nos magasins pour co-construire deux programmes expérimentés en région avant un déploiement sur tout le territoire national au profit d’autres structures de solidarité alimentaire. Le but était de donner accès à une alimentation bio et de qualité aux personnes en situation de précarité et ce processus nous a permis de créer les programmes “Bio vrac pour tous” et “Collecte bio solidaire”.

Où sont les défis sociétaux à relever aujourd’hui pour les mécènes ?

La société actuelle connaît de nombreuses tensions, les inégalités s’accroissent toutes simultanément et c’est ce qui doit orienter la stratégie des fondations et fonds de dotation. Dans un contexte économique dégradé, avec un risque de baisse des subventions accru, les mécènes doivent accroître encore plus leur soutien à des actions qui se recentrent sur les besoins et enjeux fondamentaux : pouvoir se nourrir sainement, se soigner, travailler, se loger, se chauffer, l’égalité des chances et l’accès à l’éducation pour tous, et faire face aux impacts du changement climatique… 

Sur ce dernier point, le Fonds de dotation Biocoop considère qu’il n’y a aucune différence entre justice sociale et justice climatique. D’où la nécessité de soutenir des associations mobilisant les jeunes générations et agissant en ce sens comme Alternatiba, le mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale, ou Banlieues Climat qui mène des actions autour des questions de la transition écologique et de la crise climatique auprès des habitantes et habitants de quartiers populaires. La philanthropie doit se mobiliser aux côtés de ces jeunes pour encourager leurs initiatives, renforcer leur pouvoir d’agir et construire un avenir durable.

Enfin, le nouveau défi sociétal pour les mécènes est la crise démocratique. En effet, la crise politique en cours a fait la démonstration de l’urgence démocratique.

Rares sont les entreprises et leurs dirigeants à s’être exprimés ouvertement pour appeler à empêcher la possible arrivée de l’extrême droite au pouvoir. En amont des dernières élections législatives, la coopérative Biocoop, par la voix de son conseil d’administration, a appelé à voter contre l’extrême droite sans donner une consigne de vote en faveur d’un autre mouvement.

La montée des populismes partout en Europe est dangereuse pour le modèle de société que l’on veut défendre chez Biocoop, un modèle de société plus juste et plus équilibré pour la planète. 

Aussi, face au risque de plus en plus prégnant, ce sont des réflexions sur lesquelles nous, mécènes, devons nous questionner. Il ne s’agit pas ici de permettre aux mécènes de financer la vie militante ni les partis politiques. Il s’agirait de financer des structures associatives, ONG apartisanes et d’intérêt général dont l’objet est l’innovation et la réflexion démocratique.

En résumé, vers quoi as-tu envie de faire tendre la pratique du mécénat ?

Je crois plus que jamais qu’il faut être dans la société du lien et cela ne peut passer que par un mécénat collectif à dimension locale, en phase avec les besoins des territoires, en concertation avec l’ensemble de leurs parties prenantes. Par ce mécénat, les entreprises se questionnent sur leur impact sur leurs territoires d’implantation. Cela s’inscrit dans la notion de responsabilité territoriale des entreprises (RTE) qui, à la différence de la RSE, repose sur l’action collective et la coopération avec les acteurs de l’écosystème local. La RTE comporte également l’idée d’une recherche du bien commun d’un territoire par l’entreprise.

Dans ma pratique du mécénat, je le constate avec les magasins Biocoop qui sont de puissants leviers de solidarité. Répartis sur l’ensemble de l’hexagone, ils sont fortement engagés dans les actions du Fonds de dotation afin de proposer des solutions aux besoins sociaux locaux. 

J’accorde aussi beaucoup d’importance au plaidoyer notamment pour influencer le débat public, faire évoluer la législation sur les causes que nous soutenons. C’est ce que nous essayons de faire au Fonds de dotation Biocoop en portant un plaidoyer sur la lutte contre la précarité alimentaire et pour l’accès à une alimentation bio et de qualité pour tous. L’enjeu pour nous est de transformer la vision de l’aide alimentaire, notamment en introduisant de nouvelles pratiques en passant de la récupération de produits à une alimentation choisie (décorréler la lutte contre la précarité alimentaire de celle contre le gaspillage) et en nous engageant, pour toutes nos collectes bio solidaires opérées dans nos magasins, à reverser 100% de notre marge à nos associations partenaires. L’enjeu pour nous est que cette pratique soit généralisée à l’ensemble des distributeurs. 

Nous évoquons également une sécurité sociale de l’alimentation, réflexion portée en France par différents acteurs depuis 2017 pour la création de nouveaux droits sociaux visant à assurer à la fois un droit à l’alimentation pour tous, des droits aux producteurs d’alimentation et la protection de l’environnement.

Par cette RTE et ces actions de plaidoyer, l’objectif pour nous mécènes est de proposer des solutions aux grands enjeux du 21ème siècle. Et, en tant qu’acteurs de l’économie sociale et solidaire, je pense que nous en avons la légitimité. 

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