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Entretien avec Mathilde Lerosier, directrice du mécénat et des fondations – AG2R La Mondiale
« Un projet de mécénat n’est jamais le même. Avoir 20 partenaires, c’est entretenir 20 relations différentes. Le danger serait de se reposer sur les process. Il ne faut surtout pas oublier d’investir les relations. »
Quels changements as-tu observés depuis que tu pratiques le mécénat ?
Il me semble que dans notre domaine, tout a changé pour le mieux. C’est un secteur extrêmement dynamique, à la croisée du monde de l’entreprise d’un côté et de celui de l’intérêt général et des associations de l’autre. Ces deux mondes ont eux-mêmes changé et la façon dont ils se perçoivent l’un l’autre a évolué positivement.
Du côté des entreprises, ce qui me frappe le plus c’est que le mécénat financier s’enrichit désormais souvent de toute l’expertise que l’entreprise peut apporter, alors qu’on se l’autorisait moins auparavant.
Aujourd’hui, le mécénat est la plupart du temps vraiment assumé comme un projet d’entreprise. Et ça, c’est intéressant à la fois pour le mécène et pour les structures bénéficiaires. Combiné à une meilleure compréhension, de la part des mécènes, et une vraie appropriation et parfois un partage des sujets portés par les acteurs de l’intérêt général, cela a permis de mettre en place un dialogue efficace avec les associations. Les professionnels du mécénat sont aujourd’hui véritablement un pont entre les deux mondes.
Du côté des porteurs de projets, ce qui me frappe le plus est le corollaire de tout cela : la façon dont nous discutons vraiment en partenaires. Nous ne sommes plus vus uniquement comme des soutiens financiers, nous pouvons pour eux être intéressants à écouter.
D’ailleurs, pour moi, on ne fait bien du mécénat que si l’on sort d’une vision manichéenne avec d’un côté celui qui lève des fonds et de l’autre celui qui donne de l’argent. La professionnalisation de notre secteur et de nos métiers ne doit pas nous cantonner à des rôles fermés.
Qu’est-ce qui te parait plus simple aujourd’hui et, à l’inverse, où sont les défis à relever ?
Les relations sont plus simples aujourd’hui parce qu’il y a moins de méfiance vis-à-vis des mécènes. Avec la professionnalisation de notre métier, les interactions sont aussi plus fluides. C’est positif mais c’est aussi un défi parce qu’on pourrait être tentés de s’en tenir à cela. Or je crois qu’il faut toujours aller plus loin : un projet de mécénat n’est jamais le même, chaque relation entre une entreprise et une association est spécifique. Avoir 20 partenaires, c’est entretenir 20 relations différentes. Le danger serait de se reposer sur les process. Il ne faut surtout pas oublier d’investir les relations.
Cette fluidification de nos relations a aussi une incidence sur les porteurs de projets parce que, tout en étant dans une logique de respect des projets, les mécènes veulent aussi aller plus loin et être contributeurs. Les mécènes ont plus d’attente, le niveau d’exigence ne cesse d’augmenter.
Aujourd’hui, dans ta pratique, quelles sont tes principales préoccupations ? Les questions que tu te poses le plus souvent ?
Je m’intéresse beaucoup à la place qu’occupe le mécénat dans l’entreprise, et en particulier à l’articulation avec la RSE. Je crois qu’on n’en a pas fini avec le sujet et la façon dont il peut évoluer, pour que notre travail soit véritablement pensé en transversalité à l’échelle du groupe. Ce qui peut me préoccuper, c’est le risque d’enfermer le mécénat alors qu’il y a encore beaucoup de choses à imaginer. Nous sommes très encadrés fiscalement, certes, mais nous devons continuer à être créatifs, renouveler les façons de faire vivre l’intérêt général. Il me semble intéressant de continuer à réfléchir à nos articulations internes avec la RSE par exemple, mais il faut aussi parfois savoir sortir des débats « conceptuels » pour être dans l’action et essayer de nouvelles choses. Les projets et l’opérationnel nous disent déjà beaucoup sur la nécessité de mieux collaborer et la façon de le faire pour être efficace.
Dans la même logique, je pense qu’il faut faire exister le mécénat dans des endroits où il n’est pas, trouver où il peut se nicher dans l’entreprise. Cela peut être, par exemple et de manière assez évidente, via le mécénat de compétences. L’important est de partir des besoins des associations mais nous pouvons aussi les accompagner dans leur capacité à avoir de nouvelles ambitions. Pour cela, à nous de bien connaître le projet associatif pour voir comment être de bons connecteurs et agir intelligemment. Et ceci est gagnant-gagnant, car aider des projets d’intérêt général à aller encore plus loin est aussi très bénéfique pour nos collaborateurs : cela les met en confiance, valorise leur expertise, leur permet de voir les choses et notamment leur métier sous des angles différents. En conséquence, c’est l’entreprise entière qui s’en voit un peu grandie.
En résumé, à ton échelle, vers quoi as-tu envie de faire tendre la pratique du mécénat ?
Où que soit positionné le mécénat dans l’entreprise, ma conviction est qu’il doit être à un endroit où le dialogue avec les dirigeants est possible, pour qu’ils puissent s’en nourrir.
Aujourd’hui, dans beaucoup de nouveaux modèles le mécénat est une incarnation du projet d’entreprise, de sa philosophie, de l’ADN du groupe, beaucoup mieux connecté aux métiers et aux collaborateurs. C’est d’ailleurs ce que nous essayons de faire chez AG2R LA MONDIALE avec deux fondations d’entreprises, dans les domaines de la culture et de la solidarité qui illustrent chacune à leur manière notre raison d’être.
Le mécénat n’est pas une récréation, ni un bout de fil que l‘on récupère pour le redistribuer. Aujourd’hui, nous sommes nombreux à penser qu’il peut contribuer au développement de l’entreprise. Pour cela, il doit être à la bonne place pour être correctement « connecté », dans le dialogue, avec l’entreprise ou le Groupe et ses réalités. L’enjeu est donc aujourd’hui de revendiquer cette place et de continuer à l’inventer.