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Entretien avec Romain Le Chéquer, Directeur de la Fondation Pierre Bellon
« On ne doit pas oublier qu’il n’y a pas de fondations ou de structures philanthropiques quelles qu’elles soient s’il n’y a pas d’associations. Ce sont nos partenaires naturels, pas uniquement des récipiendaires. »
Que t’a apporté ton parcours dans le secteur associatif et qui te sert aujourd’hui dans ta pratique du mécénat ?
De l’expérience terrain. De la mise en œuvre de projets. C’est ce qui m’a permis de vivre très concrètement – par le “faire” et quotidiennement – l’action au sein d’une association/ONG. Cela m’a donné une compréhension du travail associatif, de son ambition, de son énergie mais aussi de ses difficultés, qui sont nombreuses.
Concrètement, mon travail chez Planète Urgence m’a d’abord permis de voir et de vivre l’engagement au quotidien. Aujourd’hui, cela me permet de comprendre mes interlocuteurs, leur envie de faire avancer un projet, de poursuivre une mission, de changer les choses. Ensuite, j’ai pu assimiler les enjeux organisationnels des associations. Ils sont très complexes et de plus en plus prégnants, notamment en termes de management avec des problématiques de turnover, des demandes de salariés qui ne trouvent pas toujours de réponses en raison des contraintes de moyens, etc… J’y ai vécu des crises financières aussi, ce qui me permet de comprendre voire de conseiller quand une association me dit qu’elle a des problématiques financières.
Ce lien avec les réalités du monde associatif me permet d’avoir un langage commun avec mes interlocuteurs – parce que nous avons une “expérience commune” – et d’être dans la compréhension tout en étant exigeant. Cela crée les conditions pour que chacun soit transparent, cela évite les zones d’ombre et ça me permet aussi de lire entre les lignes.
Connaissant ce monde associatif de l’intérieur, quels sont pour toi les écueils dans lesquels il ne faut pas tomber en tant que mécène ?
Le premier écueil que je trouve inacceptable est de refuser de prendre en charge les frais de structure. Ensuite il y a le sujet de la proximité : on ne doit pas oublier qu’il n’y a pas de fondations ou de structures philanthropiques quelles qu’elles soient s’il n’y a pas d’associations. Ce sont nos partenaires naturels, pas uniquement des récipiendaires. On ne doit donc pas tomber dans les injonctions, que ce soit pour le reporting ou la temporalité. L’injonction n’est pas un mode de communication, ça ne marche pas comme ça. Être dans une relation de partenariat implique de considérer qu’on est des maillons de la même chaîne, qu’on poursuit le même objectif, même si on n’active pas les mêmes outils. En résumé, dans ma pratique j’essaie de ne pas être dans des demandes verticales.
Cette notion de partenariat est d’autant plus importante que nous sommes dans un environnement dynamique, qui bouge et change en permanence. On ne peut donc pas se contenter de se reposer sur ce qui a été fait, il faut s’adapter en permanence.
Qu’est-ce qui t’inspire, qu’est-ce qui est important dans la posture du mécène d’après toi ?
C’est la mosaïque des pratiques que j’observe qui m’inspire. Et le savoir-être de certaines personnes. Notre métier a une forte dimension relationnelle et c’est quelque-chose à cultiver, à travailler à la fois au sein de notre organisation et avec les porteurs de projets… Avoir de la curiosité et une posture de découverte est très important, cela fait partie de notre travail.
Je dirais aussi que se questionner, être cohérent, être à l’écoute sont des choses essentielles et qu’il faut intégrer dans le fonctionnement de nos organisations philanthropiques. Un exemple concret : je crois qu’il faut faire une place au secteur associatif dans la gouvernance, ce qui est d’ailleurs le cas à la Fondation Pierre Bellon.
Dans nos pratiques, il doit aussi y avoir une logique de rencontre. On doit aller sur le terrain, ne pas rester dans nos bureaux, rencontrer les chefs de projets associatifs et ceux que j’appelle les “premiers concernés”, les bénéficiaires. Bref aller voir ce qui se passe concrètement sur le terrain. Et parallèlement, aller à la rencontre de l’écosystème, des autres fondations, des pouvoirs publics. Le réseau et la réflexion collective sont primordiaux dans notre métier.
Enfin je crois qu’il faut pratiquer le “knowledge management” en interne pour progresser sur les enjeux sociaux que l’on choisit d’attaquer.
Concrètement, sur quoi souhaites-tu mettre l’accent en tant que mécène dans le soutien et l’accompagnement des porteurs de projets ?
Sur l’écoute. Cela passe par du temps passé : qu’il s’agisse de temps un peu long passé sur les instructions de dossiers, le fait d’aller sur le terrain, faire des enquêtes à destination de nos partenaires existants pour générer des remontées et aller plus loin dans nos réponses à leurs besoins… Cela passe aussi par la régularité du lien, que ce soit le lien formel ou informel, pour se connaître et créer la confiance mutuelle.
Très concrètement, ces choses-là se déclinent en parallèle des partenariats financiers pluriannuels pour répondre à d’autres besoins, par exemple avec des formations collectives, des cycles de co-développement, des rencontres annuelles, de la mise en lien, du conseil sur un point stratégique, etc.
Je parlais du temps passé : il ne faut pas oublier que pour faire tout ceci, il faut donner aux salariés de nos organisations le temps de répondre de façon qualitative aux partenaires associatifs.
Quels sont tes principaux questionnements sur le métier ?
Pour moi, le sujet N°1 en ce moment c’est la légitimité du financement privé. Je le résumerais en deux interrogations : “comment on travaille” et “comment on se questionne en permanence sur la légitimité de nos organisations philanthropiques privées”, dans un contexte marqué par la hausse des inégalités, les défis sociaux et environnementaux, etc.
La légitimité du financement privé passe à mon avis par plusieurs choses. D’abord avoir une posture d’apprentissage : être bien en lien avec les problématiques sociales et environnementales implique de la veille mais aussi de la formation, pour ne pas creuser le fossé entre les structures qui financent et celles qui mettent en œuvre.
Ensuite, être exemplaire, cohérent et aligné.
Enfin, en tant que financeurs privés, on a des motivations et des moteurs différents mais on répond aux mêmes acteurs et donc on doit se parler, de façon pragmatique, pour ne pas être seuls sur les sujets complexes qu’on aborde.
Plus personnellement, la question que je me pose le plus souvent c’est : est-ce que j’ai la bonne posture, auprès du bon interlocuteur, au bon moment, avec le bon sujet de discussion ? Ça évite à mes interlocuteurs de perdre leur temps.
En résumé, à ton échelle, vers quoi as-tu envie de faire tendre la pratique du mécénat ?
Pour ce qui concerne la Fondation Pierre Bellon, nous visons une organisation la plus ouverte possible sur les enjeux de ses parties prenantes que sont la gouvernance de la fondation, l’équipe opérationnelle et évidemment les partenaires associatifs. Décloisonner et être dans une logique de rencontre, c’est être en phase avec l’ADN de notre fondation basée sur l’humain.
De manière générale, je crois que les structures philanthropiques doivent à la fois être très professionnelles – avec des outils, des process – et guidées par des motivations authentiquement désintéressées. Sans oublier que c’est un métier relationnel et qu’on est dans le lien social. Il ne faut jamais perdre de vue ce principe fondamental pour toujours se poser les bonnes questions.