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Entretien avec Olivia Féré, Responsable Mécénat & RSE de Roole
« Je crois que le défi du moment c’est de réussir à mettre en œuvre des synergies, à faire converger nos moyens financiers. D’une part, des synergies pour faciliter la recherche de financement des porteurs de projets. […] D’autre part, il faut des synergies pour démultiplier l’impact. »
Tu diriges la Fondation Roole depuis sa création il y a sept ans et tu venais d’un autre métier. Qu’est-ce qui t’a frappée quand tu as démarré ?
Au départ, j’ai été recrutée chez Roole à la communication digitale. En 2018, Roole a créé sa fondation sous égide et je suis devenue déléguée générale début 2019. J’ai été formée et accompagnée par la Fondation de France mais aussi par Pro Bono Lab sur les sujets de mécénat de compétences. Depuis le début, on a envisagé la fondation comme un moyen et non comme une fin :
- un moyen pour les salariés de Roole de monter en compétences dans le domaine de la mobilité solidaire
- un moyen de créer des partenariats avec les acteurs associatifs experts dans les territoires
- et un levier pour créer nos propres services de mobilité solidaire ; Roole se réclamait un “club automobile utile à tous”, il était temps d’incarner concrètement cette promesse.
Dès le départ, nous souhaitions engager fortement nos collaborateurs, nos partenaires BtoB (les concessionnaires automobiles) et nos clients automobilistes dans nos actions de mobilité solidaire. Nous sommes une entreprise familiale qui compte 349 collaborateurs et l’essentiel de nos efforts porte sur le temps humain alloué à nos actions. Sept ans après la création de la Fondation, on a réussi à mobiliser le maillon collaborateurs : notre ambition était d’allouer 2 jours par mois par personne dès la première année et en pratique on atteint aujourd’hui 1,5 jour par mois pour une trentaine de collaborateurs. On commence maintenant à embarquer nos clients – en testant le recrutement parmi eux de chauffeurs bénévoles pour du covoiturage solidaire avec un test à venir en Bretagne – et nos concessionnaires qui donnent des voitures à notre plateforme Donnezvotrevoiture.org, par exemple.
Je pose ce contexte parce que lorsqu’on s’est lancés avec cette très forte ambition sur le mécénat de compétences, ce qui m’a le plus marquée c’est qu’il m’était difficile de m’inspirer d’autres mécènes. C’est en arrivant dans le métier que j’ai découvert que certains très gros mécènes pouvaient communiquer sur un très grand nombre d’heures de mécénat de compétences uniquement parce qu’ils engageaient de très nombreux collaborateurs mais sur très peu d’heures individuellement. Or nous on fait exactement l’inverse.
Globalement, j’ai constaté ces six dernières années que ceux qui prennent le plus la parole ne sont pas nécessairement ceux qui font le plus proportionnellement à leurs moyens. Il y a de nombreux mécènes, plus petits mais très discrets, qui font beaucoup mais dont on ne sait rien. Tout ceci est normal – on ne fait pas du mécénat pour faire de la communication – mais cela rend parfois compliquée l’identification de pairs avec lesquels il pourrait y avoir une inspiration et un enrichissement mutuels.
Quels sont les défis à relever aujourd’hui pour les mécènes d’après toi ?
Je crois que le défi du moment c’est de réussir à mettre en œuvre des synergies, à faire converger nos moyens financiers.
D’une part, des synergies pour faciliter la recherche de financement des porteurs de projets. Les financements publics et privés fondent et malheureusement on constate que les associations passent de plus en plus de temps, et donc de ressources, à répondre à des appels à projets, à l’issue desquels certains mécènes ne prennent même pas la peine de leur répondre. Résultat : l’énergie et les ressources qu’elles y passent pour survivre ne sont pas dirigées vers le cœur de leurs actions, alors que les listes d’attentes de bénéficiaires ne font qu’augmenter. C’est un cercle vicieux et les mécènes doivent s’emparer de ce sujet.
Avec la Fondation Roole, nous avons récemment mené un appel à projets en commun avec la Fondation BTP Plus du groupe PRO BTP. L’idée c’est que le porteur de projet ne monte qu’un seul dossier de candidature auquel deux mécènes ont accès. Au final nous avons, à deux fondations, financé un peu plus de 389 000 euros. Ce ne sont pas des montants faramineux mais en faisant ainsi, du point de vue des associations, cela signifiait un seul dossier à monter pour deux opportunités de soutien. Concrètement, chaque Fondation a étudié l’ensemble des dossiers et sélectionné ses lauréats avec ses propres critères. Avec la Fondation BTP Plus, tout s’est passé de façon très fluide. Mais j’ai conscience que ce type de partenariat ne fonctionne que si les deux fondations sont alignées.
D’autre part, il faut des synergies pour démultiplier l’impact. Si je prends l’exemple de notre thématique, la mobilité, elle est adressée par très peu de mécènes alors que c’est un frein qui touche tous les autres enjeux sur 80 % du territoire, dans les zones rurales et périurbaines : c’est un frein au logement, à l’éducation, la formation, l’emploi, la santé… il y a forcément des synergies à trouver pour multiplier notre impact. C’est une thématique méconnue alors qu’elle traite d’un besoin essentiel pour une immense majorité de Français dépendant de leur auto.
Quels sont selon toi les écueils à éviter pour les mécènes et, à l’inverse, les bonnes pratiques à adopter ?
Pour des structures comme la nôtre, qui n’ont pas des millions à distribuer, je pense qu’il faut se concentrer sur des projets pour lesquels l’accompagnement va pouvoir avoir un effet de levier, là encore pour maximiser l’impact. Par exemple, c’est intéressant pour moi d’aller soutenir un porteur de projet qui a besoin d’une solution informatique maligne en matière de mobilité solidaire. C’est à ma portée financièrement et je peux le coupler avec du mécénat de compétences expert et ciblé pour trouver une solution “no code”, pas chère, duplicable, transférable, qui pourra être utile à un maximum de structures, comme par exemple des garages solidaires ou des services de covoiturage solidaire. Mon but est de chercher ces synergies. On ne donne jamais un chèque tout seul s’il n’y a aucune synergie derrière.
Pour nous c’est assez simple de faire cela parce qu’on a identifié très précisément ce en quoi on pouvait être utiles et efficaces. S’il y a à mon avis un écueil à éviter c’est de se contenter de demander à nos interlocuteurs en quoi on peut les aider. Il faut aussi faire un travail sur soi pour identifier ses atouts en tant que mécène.
En regard, l’autre écueil est de ne pas bien faire le diagnostic des besoins et d’imposer un partenariat à une association qui n’en a ni l’envie ni le temps. Parfois, même avec toute la bonne volonté du monde, c’est contre-productif. Il y a des associations en face, il faut les écouter.
Aujourd’hui, dans ta pratique, quelle est ta boussole ?
Ma boussole c’est le résultat de nos soutiens, d’autant plus qu’ils sont mesurables assez facilement quand on parle de mobilité solidaire : combien de permis de conduire pris en charge, combien de voitures remises en état, combien de chauffeurs bénévoles recrutés… Il ne faut pas s’excuser d’avoir des objectifs chiffrés quand ils sont pertinents. On peut transmettre à certaines associations qui en ont besoin la culture du pilotage de la performance. Il m’est arrivé de ne pas oser demander des bilans mais en réalité, quand on accompagne les porteurs de projets dans l’exercice du reporting, on les outille en même temps et c’est bénéfique pour la suite.
En résumé, à ton échelle, vers quoi as-tu envie de faire tendre ta pratique du mécénat ?
Chez Roole, on est convaincus que l’avenir est dans l’hybridation, les associations seules ne peuvent pas tout et les entreprises non plus. Il y a des solutions à trouver dans les coopérations public/privé/associations. Dans la réalité ce n’est pas simple à faire, ce ne sont pas des coopérations agiles, cela prend du temps… mais quand on y arrive ça peut donner des choses très intéressantes. Et de toute façon, travailler chacun seul de son côté comporte son lot d’écueils aussi. Il faut conjuguer nos forces. Les associations ont des compétences terrain sans lesquelles on ne peut rien faire. Du côté des financeurs, on doit leur alléger la charge de la recherche de fonds en leur proposant des financements pérennes.